Newsletter N°3 - Quelle place pour le design en machine-outil ?
Quelle place pour le design en machine-outil ?
L'i-phone d'Apple fait des émules jusque là où on ne l'attend pas. Dans la machine-outil par exemple. Un rapide coup d'œil sur les gammes de quelques constructeurs suffit à s'en persuader.
La CTX Alpha 300 de DMGChez DMG, premier constructeur d'Europe, les dernières générations de centres d'usinages CTX adoptent des matières, des courbes, des textures qui font sans hésitation penser au téléphone d'Apple.
Le Cadman Touch de LVDDans in tout autre domaine, le pliage, le dernier pupitre de commande numérique de presse plieuse de l'italien LVD, baptisé Cadman Touch, simplifie à l'extrême l'interface utilisateur et instaure la commande « au doigt », comme les dernières générations de téléphone et l'i-phone en particulier. Même son nom rappelle certains modèles de téléphones portables, fabriqués par le taiwannais HTC ! Il emploie pour cela une technologie infrarouge combinée à un PC sous windows XP.
L'AVIS D'UN EXPERT
Au-delà de ces deux exemples typiques, force est de constater que les efforts des constructeurs de machines en termes de design et d'ergonomie sont de plus en plus important. Afin de comprendre cette tendance, nous avons interrogé Olivier Frenoy, créateur de l'agence Concept Frenoy Design, connu dans le milieu du design industriel pour avoir, notamment, travaillé sur des machines-outils.
Sur quelles machines avez-vous travaillé ?
Dans la machine-outil, Concept Frénoy Design est intervenu sur la gamme Urane de Comau. Au-delà de l'approche purement esthétique, nous avons travaillé sur l'ergonomie et la fonctionnalité d'usage. Par exemple, la pente inversée de l'avant permet une meilleure intervention de l'opérateur au niveau de la zone de réglage. De plus cette pente affirme une signature spécifique de la gamme Urane et permet de bien différencier l'avant de l'arrière.
La définition d'un code couleur entre les Urane à moteur linéaires et celles à vis à billes renforce les modèles de la gamme. Sur l'Urane SX, nous sommes allés encore plus loin en créant une distinction formelle en accord avec l'architecture de la machine.
Nous retrouvons cette démarche pour SmartDrive, le dernier centre d'usinage de Comau qui vient de sortir.
Dans le monde industriel, le design et la technique sont-ils liés ?
Le designer ne fait jamais ce qu'il veut, il faut que sa démarche s'inscrive dans une solution d'entreprise, intégrant les contraintes marketing, techniques et de réalisation série.
Dans l'entreprise, le design est souvent géré par la R&D ou le BE, qui abordent d'abord l'aspect « technologique ». Notre rôle est de dépasser cette approche pour intégrer fonctionnalité, ergonomie, innovation et esthétique, par un dialogue constant avec ces personnes.
Au-delà de cette relation à instaurer, ces métiers sont bien liés. Pour preuve, le designer travaille avec les mêmes outils de conception, les logiciels de CAO, qui nous permettent de livrer en fin d'étude, les fichiers au format de leur choix.
Le designer est-il alors libre dans ses créations ?
Attention, le designer n'est pas là pour se faire plaisir mais pour intégrer des contraintes techniques et de séries. Il doit, par exemple, dessiner une carrosserie non complexe.
Lorsque l'agence a travaillé sur la Genymab 400 de Somab, nous devions répondre à un cahier des charges drastique au niveau des coûts et le design s'est accompagné d'une démarche d'analyse de la valeur afin de tenir cet objectif. Nous avons abouti à un cube incliné pour donner une signature à ce centre d'usinage, tout en restant dans des budgets classiques.
Le travail du designer se situe aussi dans le détail et les finitions, poignées, pupitre, coloris, graphismes... Mais dans le cas d'une machine-outil, sa tâche consiste aussi à intégrer les contraintes d'étanchéités et des égouttures. En aucun cas il ne faut produire une machine qui fuit !
Le design touche-t-il uniquement le matériel ?
Depuis 5 ans, notre agence intervient aussi sur les interfaces homme machine (IHM). En particulier, nous avons beaucoup travaillé avec Thalès pour la mise en forme graphique d'écrans, d'applications logicielles et de pictogrammes.
Ce domaine a beaucoup d'avenir. Lorsque vous regardez l'i-phone d'Apple, son succès tient à son interface intuitive et à la grande qualité graphique de ses IHM.
Une autre tendance pousse les industriels à améliorer leurs IHM : ils conçoivent moins de produits mais plus de systèmes où la gestion des données sur écran joue un rôle essentiel. Nous sommes dans l'ère du « tout Windows ». Pour se démarquer, les constructeurs veulent trouver une signature visuelle et une qualité d'affichage des écrans qui assure une optimisation de leur gestion par les opérateurs. D'ailleurs, dans ce domaine technique, on ne comprend pas pourquoi de bonnes IHM seraient seulement réservées au grand public.
Le designer a toute sa place dans ce processus. Les programmeurs n'ont pas le savoir-faire dans ce domaine. En revanche, les designers ergonomes sont en mesure d'apporter un rôle prépondérant de conseil et de conception dans cette problématique.
Le surcoût de ces démarches est-il important ?
Le design a un coût, soyons réaliste, mais il ne faut pas croire qu'il est inabordable. Je dis toujours à mes clients qu'un moule d'injection coûtera toujours le même prix, avec ou sans design.
En premier lieu, on reconnaît toujours un produit « designée » par son ergonomie, sa fonctionnalité accrue, sa signature visuelle et sa séduction auprès du public. Le design enrichit le produit de manière induite. Et lorsque le produit est fini, on oublie très vite le coût engagé... Sur une machine-outil, il y a beaucoup de façon d'intervenir sans en augmenter le coût de fabrication ; en jouant sur les couleurs, sur les marquages et en utilisant des formes simples à fabriquer.
Cependant, la démarche de création design est toujours liée à la série envisagée et aux moyens d'obtention qui seront mis en œuvre.
Enfin, il existe des aides de l'Etat pour ce type de prestations. Les aides FRAC permettent de financer jusqu'à 50% des prestations des agences de design.
Le design peut-il rivaliser avec le low-cost ?
C'est une question de stratégie d'entreprise. Faire de l'innovation sans design ne sert à rien, c'est prouvé. Mais l'innovation doit s'accompagner d'une mise en œuvre globale pour vendre le produit, et surtout, l'exporter. Le marketing et le service commercial ont un rôle prépondérant dans cette tâche, qui permettra d'envisager des séries plus importantes avec amortissement des outillages et baisse des coûts de revient. Tout est lié, regardez les chinois qui inondent le monde avec leurs produits de grande consommation !
Aujourd'hui, le designer a un rôle de catalyseur des besoins du marché, il anticipe avec l'entreprise la définition des futurs produits qui séduiront demain les consommateurs. Mais la France a encore beaucoup de travail à faire pour comprendre et intégrer cette démarche.