Newsletter N°67 - Trois questions à Christophe Champenois, Responsable du pôle Ingénierie des Polymères et Composites au Cetim
Trois questions à Christophe Champenois, Responsable du pôle Ingénierie des Polymères et Composites au Cetim
Vincent Lebugle : Quels sont les verrous technologiques et économiques qu'il reste à faire sauter pour que les composites rentrent de plain-pied dans une logique de production en série ?
Christophe Champenois : Le premier de tous est indubitablement le temps de cycle de production. Il est essentiel de la faire descendre en deçà de cinq minutes pour que la technologie soit généralisable à des produits grand-public. C'est un enjeu clé qui nous place dans une approche très différente de la vision du secteur aéronautique concernant la transformation de la matière. Clairement, il s'agit de repenser la transformation, en minimisant les temps de préparation des matériaux, tout en partant des matériaux dans leur forme la plus simple, fibres en rouleaux et polymères en pot ou en granulés prêts à extruder, selon que l'on a affaire à des thermodurcissables ou à des thermoplastiques, afin de s’affranchir des surcoûts liés aux stades intermédiaires de produits semi-finis.
Mais au-delà de cet aspect, il existe une barrière culturelle à l'intégration des composites dans l'automobile. En effet c'est un domaine où l'ensemble des pièces structurales ont été pensées avec une approche séquentielle propre aux matériaux métalliques, dont les caractéristiques sont à la fois connues et maîtrisées. Ainsi, le comportement des pièces, en usage et au crash, peut-il être simulé et appréhendé par des cycles d'essais itératifs. Dans le cas des composites, l'approche de conception est assez différente, dans le sens où il s'agit d'intégrer un maximum de fonctions à partir de matériaux anisotropes et hétérogènes. Pour cela, il faut prendre le risque de déplacer les frontières qui régissent le découpage de l'habitacle. C'est un aspect d'autant plus important que chez nos deux constructeurs nationaux, le découpage organisationnel des équipes de développement découle directement de celui du véhicule. Dans ce contexte, le fait de passer aux composites déséquilibre non seulement les concepteurs, mais également le schéma industriel.
V. L. : Dans l’auto, certains fournisseurs adoptent une démarche « Black Métal ». De quoi s’agit-il ?
C. C. : Les concepteurs ne cherchent pas à maximiser l'intégration de multiples fonctions dans une pièce. Ils se limitent volontairement à une approche fonctionnelle, proche de celle d'une pièce métallique, mais en utilisant des matériaux composites. Les gains de masse résultants sont de l'ordre de 15 à 20 %, donc bien inférieurs à ceux qu'engendrerait un redécoupage fonctionnel complet. On peut citer à ce titre la fabrication de bras de suspension en résines fibre et de verre qui, sans représenter une rupture technologique, montre que ça marche et représente un pas vers un usage plus important de ces matières.
V. L. : Coté matériaux où en est-on et quels sont les défis à relever ?
C. C. : La matière est la seconde barrière qu'il est indispensable de lever en vue d'une utilisation généralisée des composites. Concernant les fibres, l'usage du verre ou du carbone reste classique mais la combinaison à des résines thermodurcissables, technique parfaitement maîtrisée, posent un problème de recyclabilité. Aucune solution, autre que le broyage et la dégradation en cimenteries, n'est possible. Cette approche est concevable à l'échelle des volumes de démantèlement aéronautique, mais pas automobile. La piste des thermodurcissables est donc une piste qu'il faut suivre. Certes il n'existe pas encore de filière de recyclage, mais le principe de séparation est acquis, soit thermiquement, soit pas broyage et réutilisation sous la forme de composites à fibres courtes. C'est la raison du choix du Cetim de travailler sur ce type de matériaux. Il nous limite indéniablement aujourd'hui en termes d'application, mais il est plus porteur que les thermodurcissables.
Au-delà de la recyclabilité des matériaux, il y a des enjeux importants sur leur comportement et les grands acteurs de la chimie se sont lancés dans une compétition féroce dans le domaine. Il ne faut pas oublier la problématique de la caractérisation des matériaux, afin de pouvoir les utiliser en conception en pleine connaissance. Or, d'une part la matrice de comportement et plus complexe à établir, d’autre part, il est indispensable de raisonner en termes de couple fibre / résine. Le coût d'une caractérisation est évalué à 30000 euros par couple matière. Ces frais sont insurmontables pour la très grande majorité des sous-traitants automobiles qui auront à en caractériser plusieurs. Un écueil économique qui s'ajoute à la barrière du coût global de la technologie composite. En effet l'équation économique qui fait aujourd'hui référence chez les constructeurs, c'est un accroissement de coût de production de cinq euros par kilo gagné sur le véhicule. Une condition qui implique un usage ciblé de ces matériaux et leur mariage avec des matériaux classiques. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé au Cetim PAM, un programme de 12 millions d'euros autofinancé sur quatre ans, portant sur l'assemblage multi-matériaux. Car nous savons déjà que les pièces de grandes séries seront multifonctions et multimatériaux, afin de réserver l'usage de matières de très haut niveau à des zones ciblées. Tout ceci sans perdre de vu que ces pièces d'un nouveau genre s'inscriront dans un environnement à prédominance métallique.